Portée par la reprise du trafic aérien et les projets de recherche liés aux enjeux énergétiques et environnementaux, l’industrie aéronautique a de forts besoins en recrutement mais fait face à une réelle pénurie de compétences sur certains profils. Témoignages de professionnels du secteur pour mettre en lumière le lien entre attractivité et engagements environnementaux.
L’aéronautique est un secteur clé de notre économie, employant 182 000 personnes en France en 2020 selon l’Insee, et même 300 000 si l’on compte les emplois indirects. Mais cette industrie est aujourd’hui confrontée à un défi majeur : réduire son impact environnemental face aux enjeux climatiques. Alors que l’aéronautique était reconnue depuis toujours pour être particulièrement attractive, moteur dans la création d’emplois pour l’industrie française, l’arrivée du Covid-19 a paralysé le secteur, qui a vécu un véritable bouleversement. Une baisse des effectifs de 8 % a été constatée cette année-là, soit la suppression de 23 300 emplois, une diminution quatre fois plus élevée que sur l’ensemble de l’économie (Insee). Dès la fin de l’année 2021, nous avons heureusement assisté à une belle reprise de l’activité dans ce secteur, qui a déclenché de grands besoins en richesses humaines. Plus de 15 000 recrutements sont prévus pour l’année 2023, et 40 % d’entre eux concernent la recherche et le développement…
Comme le reste de l’industrie, l’aéronautique subit néanmoins une réelle pénurie de compétences sur de nombreux profils. Les ressources humaines du secteur peinent donc aujourd’hui à recruter des ajusteurs, monteurs, chaudronniers ou encore soudeurs, ainsi que sur des postes plus spécifiques liés à la recherche : efficacité énergétique, hydrogène, génie électrique, mécanique des fluides, intelligence artificielle, cybersécurité ou encore data management . Un tel coup de « stop & go » laisse des traces et nombre de talents se sont malheureusement durablement détournés de ce secteur, amplifiant encore la pénurie.
Trouver du sens dans son métier
A l’heure du « flight shaming » (honte de prendre l’avion), alors que prendre l’avion est souvent ressenti comme contraire à toute conscience écologique, de plus en plus de polémiques au sujet de l’aéronautique apparaissent. On ne compte d’ailleurs plus les gros titres de la presse pointant du doigt l’utilisation de jets privés par des personnalités.
En parallèle, la prise de conscience croissante des enjeux écologiques pendant la pandémie a conduit à une accentuation des attentes côté candidats. Plus sensibles à l’impact environnemental des entreprises, les talents sont en quête de sens et souhaitent évoluer dans des secteurs qui s’engagent activement sur la voie de la décarbonation.
Cette nouvelle tendance s’affirme et, au même moment, les difficultés pour l’aéronautique à recruter et retenir les talents sont de plus en plus présentes. A l’image du « plastic bashing » qui associait l’industrie du plastique à la pollution, sommes-nous en train de nous diriger vers un « aero bashing » ? Plus précisément, la pénurie de candidats est-elle liée à l’image environnementale dégradée de ce secteur ?
Une industrie qui attire toujours
Sur un marché de plus en plus tendu, attirer des talents dans l’industrie aéronautique devient un véritable challenge. Pour comprendre le lien entre attractivité et enjeux environnementaux, nous avons recueilli le témoignage de professionnels du secteur.
Ce qui est indéniable, c’est que l’industrie aéronautique reste malgré tout très attractive pour de nombreux candidats. Ainsi, 76 % de ceux que nous avons interrogés trouvent l’industrie aéronautique attractive, notamment depuis la crise du Covid-19. Le premier facteur cité par nos répondants est l’innovation technologique : le secteur a toujours fait rêver grâce à l’imaginaire qu’il déploie, ainsi que par sa capacité d’innovation. Il offre un environnement stimulant et en constante évolution.
Cet attrait pour l’industrie aéronautique peut être relié à la fascination originelle des humains pour le vol et les oiseaux en général. Depuis le mythe grec d’Icare jusqu’aux films comme Top Gun, en passant par le développement de l’avion supersonique Concorde, l’aéronautique évolue entre fascination et crainte, mais ne laisse jamais indifférent ! D’un point de vue très pragmatique, le secteur attire toujours bon nombre de candidats en raison des avantages qu’il procure. L' »aéro » est historiquement connue pour ses belles opportunités de carrière, mais aussi pour ses salaires élevés. Un facteur qui porte encore ses fruits puisque 85 % des personnes interrogées sont convaincues qu’elle offre des parcours professionnels attractifs.
La question environnementale au cœur du débat
Le secteur ne séduit cependant pas tout le monde. Les principaux désavantages soulevés par nos répondants concernent les profils recherchés. L’aéronautique étant une industrie particulièrement technique, la recherche de profils ayant déjà une expérience dans ce domaine, ou des compétences techniques très précises, peut venir compliquer très sérieusement le recrutement.
Les enjeux environnementaux sont le deuxième élément le plus cité. Il semblerait que beaucoup de candidats ne croient pas en l’avenir d’une industrie aéronautique durable et préfèrent donc ne pas y postuler.
Pour autant, il ne faudrait pas faire preuve d’un jugement trop simpliste et réduire l’aviation à son impact sur l’environnement. Bon nombre d’experts abordent ce défi avec une approche globale : analyse et optimisation du cycle de vie produit, ruptures technologiques des motorisations à l’hydrogène ou électriques, évolution des pratiques, économie d’usage… Une aéronautique plus vertueuse se construira en combinant différentes démarches. Au-delà des actions individuelles, il apparaît indispensable de faire évoluer l’ensemble de l’écosystème de manière vertueuse (constructeurs, sous-traitants, compagnies aériennes, etc.).
Il faut également veiller à ne pas diaboliser l’aéronautique qui reste un des principaux outils de la défense nationale, mais surtout de la connexion des territoires. Œuvrer en faveur de l’environnement ne doit pas conduire à un repli sur soi. Défendre la cause environnementale ne saurait se faire en stoppant les échanges internationaux entre des peuples. L’attraction-répulsion des talents pour cette industrie ne nous met-elle pas face à nos propres contradictions dans nos combats pour la défense de l’environnement ? Il serait d’ailleurs intéressant d’appréhender cette vision sur le plan international, en fonction des critères culturels et géographiques, mais notre enquête s’es concentrée sur la France.
Ces contradictions s’avèrent encore plus criantes dans le spatial, un secteur très proche, qui navigue entre progrès scientifique des satellites, capables de suivre le changement climatique, et bilan carbone hallucinant des voyages touristiques dans l’espace. Ce n’est certes pas en arrêtant le progrès qu’on va avancer : de même que l’industrie est une partie de la solution aux défis environnementaux, la technologie permettra à l’aéronautique d’emprunter une voie plus vertueuse ! Ces contradictions sont au cœur des enjeux d’attractivité du secteur.
Une capacité à se réinventer
Le secteur aéronautique a donc tout intérêt à miser le plus possible sur ses projets de transition environnementale, en intégrant ses richesses humaines au processus et en mettant en avant les programmes liés à sa décarbonation, ou qui en prennent le chemin. L’un des aspects clés, cité de nombreuses fois par nos répondants, est de mettre davantage en lumière les projets d’avions électriques et à hydrogène pour attirer des candidats. Ces projets sont révolutionnaires, montrent la volonté du secteur de se transformer et sont technologiquement passionnants.
L’industrie aéronautique continue de faire rêver des passionnés. Le secteur est en constante évolution grâce aux innovations qui permettent de concevoir des avions plus légers et plus performants, donc plus sobres, plus sûrs et plus respectueux de l’environnement. De nombreux projets sont à l’œuvre à travers le monde et illustrent le dynamisme dans lequel la filière s’inscrit aujourd’hui. Du tour du monde en avion solaire au retour en grâce du dirigeable, en passant par les nombreux avions électriques en développement à travers le monde, une chose est sûre : la transition a bien commencé !
Deux tiers des personnes interrogées étaient confiantes dans la capacité de cette industrie à réduire son empreinte environnementale et à se transformer pour répondre aux enjeux de la mobilité de demain. Car oui, les passionnés de l' »aéro » sont nombreux, mais ils font aussi extrêmement attention à leur impact sur l’environnement et souhaitent donc s’investir dans la transformation technologique et vertueuse de ce secteur.
Les RH au cœur de la transition
Ces nouveaux projets de l’industrie aéronautique, notamment liés à l’électrique ou à l’hydrogène, vont bouleverser les richesses humaines du secteur. Celui-ci va devoir devoir attirer des profils variés et de nouvelles compétences pour relever ce défi. Et ça tombe bien, puisque huit personnes interrogées sur dix nous ont indiqué vouloir s’investir dans des programmes liés à la transition écologique de l’aéronautique. Comme nous le constatons dans l’industrie en général, l’attractivité d’une entreprise est davantage liée aux orientations et aux efforts consentis pour l’environnement qu’à son historique vertueux… S’engager pleinement dans un secteur pour participer à le rendre plus responsable semble donc être l’un des meilleurs leviers de motivation des talents d’aujourd’hui. Attention cependant au « green washing » !
Entre incertitudes technologiques et économiques, freins à l’attractivité, rareté des talents… le moins que l’on puisse dire, c’est que l’industrie aéronautique a encore de beaux défis à relever ! Le secteur s’appuie heureusement sur un écosystème solide pour relever des challenges ambitieux et sur une image qui reste positive : l’aéro fait encore et toujours rêver, et attire des candidats qui croient en sa capacité à se réinventer et à répondre aux enjeux qui se présentent.