Des robots et des talents : entretien avec Christine Toumoulin, enseignant-chercheur

Passionnés et spécialistes des recrutements liés à l’industrie 4.0, nous nous sommes lancés sur une étude approfondie en lien avec cet écosystème aussi complexe que captivant. Nous vous proposons aujourd’hui de commencer par la formation, avec l’interview de Christine Toumoulin, co-responsable de la licence Mécatronique de l’IUT de Rennes, qui nous livre sa vision du...

Passionnés et spécialistes des recrutements liés à l’industrie 4.0, nous nous sommes lancés sur une étude approfondie en lien avec cet écosystème aussi complexe que captivant. Nous vous proposons aujourd’hui de commencer par la formation, avec l’interview de Christine Toumoulin, co-responsable de la licence Mécatronique de l’IUT de Rennes, qui nous livre sa vision du marché.


Parlez-nous un peu de vous.

Christine Toumoulin

Je suis enseignant chercheur, rattachée au laboratoire Traitement du Signal et de l’Image (LTSI – INSERM U1099) à l’Université de Rennes I, dont l’activité se déploie dans le domaine de l’ingénierie biomédicale, c’est-à-dire à la croisée des domaines des sciences et technologies de l’information et de la santé. Je suis également enseignante à l’IUT de Rennes, au département Génie Électrique et Informatique Industrielle, et co-responsable de la Licence Mécatronique et Robotique.


Pouvez-vous nous en dire plus sur cette formation : notamment à propos des étudiants et des relations entretenues avec les acteurs de l’écosystème industriel ?

Cette formation est structurée en deux parcours :

  • Un parcours « Ingénierie des Systèmes Automatisés et Robotique » – ISAR – axé sur l’Automatisme, la Robotique et la vision industrielle,
  • Un parcours « Production et Assemblage des Systèmes ELectroniques » – PASTEL – ciblé sur l’assemblage, la production et les tests des systèmes électroniques.

Sur ces parcours, nous sommes en partenariat avec le Campus E.S.P.R.I.T Industrie situé à Redon.

La formation s’effectue en alternance. L’équipe pédagogique est constituée à 50 % d’industriels qui assurent des cours et des travaux pratiques (TP) et qui participent de manière active à la rénovation des programmes et des contenus pédagogiques. Une autre particularité de la formation est qu’elle dispose de plateaux techniques composés d’équipements industriels (plateau robotique, usine école en cours de construction). Nos étudiants sont ainsi immergés durant leur formation dans un environnement industriel qui leur permet de travailler sur des applications et des problématiques qu’ils rencontreront dans leur futur emploi. Le partenariat construit avec le milieu professionnel conduit ainsi à proposer un enseignement plus efficient et permet aux étudiants de développer les compétences attendues par les entreprises d’un grand nombre de secteurs d’activité : agroalimentaire, cosmétique, pharmacie, automobile, aéronautique, mécanique, etc. La présence des industriels dans l’établissement et leur participation à la formation, mais aussi les partages d’expériences avec les étudiants, permettent de transformer positivement la vision des jeunes générations sur l’industrie et d’améliorer l’attractivité des métiers industriels auprès de ces jeunes.

Le public que nous accueillons sur le parcours Automatisme et Robotique est assez diversifié : des étudiants en poursuite d’études ayant un diplôme BAC+2 dans les domaines de l’automatisme et de l’informatique industrielle :  BTS Maintenance des Systèmes (MS), Conception Réalisation de Systèmes Automatisés (CRSA), Électrotechnique (ELT), également DUT Génie Electrique et Informatique Industrielle (GEII) pour lesquels cette formation représente une continuité de parcours, Génie Industriel et Maintenance (GIM), et plus rarement, Génie mécanique (GMP).

Nous accueillons également des personnes en reprise d’emploi et des salariés (ils représentent 5 à 10 % sur une promotion de 48 étudiants). Nous organisons des formations courtes et proposons des blocs de compétences afin de mieux répondre à la demande des entreprises.


Quel regard portez-vous sur le marché de la robotique en France ?

Je ne me considère pas suffisamment expérimentée pour répondre à une question aussi vaste. Je peux vous proposer un point de vue, celui d’un enseignant qui, au travers de lectures, de rencontres avec les entreprises et de projets menés en partenariat avec ces entreprises, a découvert ce domaine en 2008.

La robotique est un domaine très étendu qui se décline sous différentes formes, avec de multiples applications dans de nombreux secteurs et qui investit aussi bien notre vie personnelle que professionnelle. La France dispose de nombreux atouts concernant ces secteurs. Elle apparaît bien positionnée au niveau mondial sur la R&D et sur le développement d’applications d’intelligence artificielle, de réalité virtuelle et augmentée et de l’IOT. Elle est très présente dans le domaine de la robotique de service personnelle sur les secteurs de l’assistance à la personne ou encore de la sécurité ainsi que dans le domaine de la robotique professionnelle où les évolutions majeures concernent les domaines de la logistique (avec la robotique mobile), de la robotique agricole, médicale, etc. La France abrite également de nombreuses startups telles que Medtec, Clinatec, Naïo Technologies, Shark Robotics, Exotech, Siléane, Posos etc., des laboratoires de recherche mondialement reconnus comme l’INRIA, le LIRMM, l’ISIR, le LS2N, le CEA, LABRI, etc., dispose de nombreux dispositifs de coopération recherche-industrie : IRT, SATT, instituts labellisés Carnot, GDR Robotique, …

L’intelligence artificielle apporte une nouvelle dimension dans le développement des applications robotiques.  Avec l’introduction de capacités d’apprentissage et d’intelligence, il s’agit de rendre ces machines capables de s’adapter et d’interagir dans un environnement plus ou moins complexe, en totale interaction avec l’humain. Il est important de tenter de répondre à des enjeux économiques et sociétaux relatifs à la santé, au vieillissement de la population, à l’assistance aux personnes (handicapés, etc.), la sécurité, etc.

En ce qui concerne la robotique industrielle, les progrès réalisés autour de l’IA, des capteurs communicants et intelligents, permettent de proposer (1) de nouvelles formes de robotique : collaborative, plus facile à programmer (IHM graphiques intuitives), avec des facilités d’intégration sur les lignes de production (remplacement des enceintes de sécurité par des solutions associant des scrutateurs lasers et des applications logicielles robot type « safemove » chez ABB par exemple ; (2) des applications plus complexes nécessitant une intelligence accrue, une précision augmentée avec des capacités de traitement importantes. Citons pour exemple les nouvelles technologies de vision exploitant les algorithmes de deep learning qui, associées à la robotique, permettent de proposer de nouvelles applications qui n’étaient pas traitables par la vision classique (déformation de support, localisation de formes complexes de petites tailles, variation d’aspects des objets, faible luminosité, etc.). 

La robotique industrielle a été pionnière dans l’industrie de production dès les années 60 dans le secteur automobile sur des applications principalement de manutention.  Le Japon puis les États-Unis ont été précurseurs sur ce secteur avec une introduction massive de robots sur les chaînes de fabrication à partir des années 80. Aujourd’hui, la Chine représente le premier marché mondial et a dépassé l’Europe et les États-Unis en termes d’achat de robots. En France, l’intégration des robots dans les entreprises a demandé du temps. Différentes raisons peuvent être évoquées : (1) l’inquiétude des salariés pour leur emploi, (2) le manque de compétences et (3) les coûts de transformation des outils de production. La France souffre d’un sous-investissement de son appareil productif avec un parc machine vétuste dont la moyenne d’âge est évaluée à 17 ans en 2017.

Par ailleurs, l’industrie française a dû faire face à plusieurs crises majeures (choc pétrolier en 1974, conséquences de la crise des subprimes en 2008, la crise de la Covid-19 en 2020) qui ont causé des pertes d’emplois conséquentes et la fermeture de nombreux sites. Pour enrayer la désindustrialisation du pays, l‘État a proposé à partir de 2013 plusieurs plans de soutien (Nouvelle France industrielle en 2013, Industrie du Futur en 2015). L’alliance industrie du futur en partenariat avec ses correspondants régionaux comme le Cetim, le Symop ou l’Institut Maupertuis, propose d’accompagner les entreprises (PME/PMI) dans leur transformation. Elle passe par l’automatisation et la robotisation des moyens de production, et par l’intégration d’une nouvelle organisation porteuse d’efficience dans le fonctionnement de l’entreprise. Il s’agit pour les entreprises de gagner en productivité et en compétitivité dans un contexte industriel hautement évolutif et concurrentiel.

Bien que la France ne possède aucun fabricant de robots, elle dispose d’un réseau étoffé d’intégrateurs sur les secteurs de la robotique, de l’automatisme et de la fabrication de machines spéciales. C’est un atout considérable pour faciliter le développement et l’intégration de nouveaux process robotisés dans l’industrie. Nous avons pu observer une évolution positive à partir de 2018 dans la demande de compétences des industriels en robotique, au travers des missions proposées à nos alternants, de l’augmentation des formations courtes (ou blocs de compétences) que nous avons dispensées aux salariés et également des offres d’emploi à destination de nos étudiants. La formation revêt une importance primordiale car elle permet d’accompagner ces évolutions au sein des entreprises. Bien que le démarrage ait pris du temps, la dynamique semble aujourd’hui amorcée avec une robotisation des procédés qui s’accélère dans les entreprises. Il suffit d’échanger avec les intégrateurs, visiter les sites de production pour s’en rendre compte. La crise sanitaire de 2020 a, de nouveau, mis à rude épreuve certains pans de l’industrie. Elle met en exergue la nécessité de poursuivre la rénovation des moyens de production pour permettre de maintenir les usines en fonctionnement, et surtout de localiser en France les activités et technologies à haute valeur ajoutée.


Quel impact un élève peut-il avoir dans une entreprise déjà 4.0 ou une entreprise qui ne l’est pas encore ?

Les entreprises recherchent désespérément des techniciens BAC+3 sur les métiers d’automatisme, robotique. Il émerge aujourd’hui une forte pénurie liée au fait que de plus en plus d’entreprises automatisent leurs moyens de production pour répondre aux exigences d’un marché en perpétuel mouvement.

L’accueil d’un alternant représente alors une réponse à ce besoin. Cela permet à l’entreprise de former un jeune pour le garder ensuite. Les alternants peuvent être placés dans un service automatisme, bureau d’étude ou encore maintenance pour réaliser des missions d’amélioration continue (rénovation, retrofit de machines, fiabilisation d’une ligne de production, etc.), travaux neufs ou encore méthodes. Ils peuvent également se retrouver chez des intégrateurs robotiques, des fabricants de machines spéciales, ou encore des prestataires de service automatisme – robotique.

Les missions proposées aux alternants sont diversifiées : Elles peuvent concerner l’automatisation d’un système, d’une ligne de production, des travaux d’amélioration, de rénovation d’équipements (impliquant de la mécanique, automatisme, supervision), la mise en place d’un système de vision industrielle, la participation à la conception et à la réalisation de nouvelles machines automatisées ou robotiques, etc.

Lorsqu’une entreprise recherche des alternants, il est important qu’elle ait déjà les compétences en interne afin d’accompagner l’alternant dans son apprentissage. Si l’entreprise ne les possède pas, l’étudiant peut rapidement être perdu. C’est pourquoi nous échangeons avec ces entreprises pour valider le projet proposé à l’alternant.  L’objectif au travers de la mission proposée consiste à amener progressivement l’alternant d’une position d’exécutant à une position dans laquelle il saura être force de proposition et autonome. Lorsqu’une entreprise n’a pas de compétences en robotique en interne, nous chercherons à la rediriger vers la formation d’un salarié, afin que l’étudiant n’ait pas la charge de l’automatisation d’un système à lui seul.

La licence propose une formation axée sur les nouvelles technologies. Nos diplômés peuvent devenir des ambassadeurs de ces nouvelles technologies afin de les promouvoir au sein des entreprises et d’accompagner leur appropriation par les équipes. 


Quel est le rôle d’un organisme de formation tel que le vôtre dans l’écosystème robotique en France ? Quelles relations entretenez-vous avec les organisations comme les pôles de compétences et autres plateformes d’accélération ?

Pour évoluer, les entreprises ont besoin de (1) trouver sur le marché du travail les compétences dont elles ont besoin pour leur développement, (2) préserver celles dont elles disposent déjà en interne, et (3) investir dans la formation de leurs salariés pour accroître et valoriser leur capital humain.

Le rôle d’un centre de formation réside dans une fonction d’accompagnement de ces entreprises dans l’évolution des compétences et l’accroissement des qualifications des hommes et des femmes investis dans ces entreprises. Ce rôle est d’autant plus important aujourd’hui que l’industrie est en pleine mutation, portée par la révolution numérique.

Dans ce contexte, les organismes de formation se doivent d’être agiles, pour s’adapter et évoluer rapidement aux évolutions de compétences et à la transformation des métiers induites.

Cependant, le développement des compétences techniques nécessite d’investir sur des plateaux techniques qui intègrent les technologies 4.0. Cela a un coût, d’autant que ces plateaux techniques doivent suivre les évolutions technologiques. Ces coûts sont trop importants pour être supportés par un organisme de formation. Celui-ci a besoin du soutien des entreprises et de la région pour obtenir les moyens financiers nécessaires à un tel investissement.

Nous rencontrons régulièrement les plateformes d’accélération tel que Proxinov, Id4car, ou Excelcar. Nous participons à des rencontres avec d’autres industriels sur des sujets techniques, échangeons sur des projets de formation. Nous avons aussi déjà travaillé sur certains projets avec l’Institut Maupertuis, mais aussi avec le pôle EMC2, via des appels d’offre.


Avez-vous des liens avec d’autres écoles, notamment des écoles d’ingénieurs ?

Nous sommes bien sûr ouverts aux partenariats. Ils sont constructifs et enrichissants à plusieurs égards, notamment sur le partage des idées et des compétences. Ils permettent également de mutualiser les ressources humaines et matérielles sur les projets ou la formation,.

Nous avons un partenariat avec le campus ESPRIT Industrie situé à Redon. Nous co-construisons des formations ensemble et répondons à des appels d’offre pour obtenir des financements en travaillant sur des projets communs. Nous travaillons actuellement à la construction d’un mastère automatisme et robotique pour la logistique, sur deux années. L’objectif est de proposer une formation de niveau ingénieur qui soit technique et qui apporte des compétences pointues dans les familles de technologies clés de l’industrie 4.0, associées à l’usine et à la logistique du futur. Son ouverture est prévue en septembre 2021.

En parallèle, Le DUT se transforme. D’un parcours en deux années, il s’étend en septembre 2021 sur 3 années pour devenir un BUT (Bachelor Universitaire de Technologie).


Et l’IA dans tout ça ? Les méthodes d’enseignement évoluent-elles aussi vite que les hard-skills enseignés ? Intégrez-vous des soft-skills dans les programmes ?

La formation à l’IA intervient à un niveau BAC+4 / BAC+5. Nos étudiants en DUT ou en licence professionnelle ne sont pas concernés.

Au niveau de la licence professionnelle, les soft-skills sont travaillés dans le module “Communication et Convaincre”, avec des intervenants du spectacle, au travers de jeux de rôle.

Les softs-skills sont également travaillés dans le cadre du suivi des alternants par des tuteurs pédagogiques sur l’année, à la fois sur la partie académique et dans leur activité au sein de l’entreprise. 


Quel regard portez-vous sur les intermédiaires du recrutement ? Qu’en attendez-vous, quels conseils pouvez-vous leur donner ?

Je souhaiterais mentionner deux éléments qui concernent la valorisation et la reconnaissance des compétences :

  • Le premier concerne les offres d’emploi que nous recevons, qui sont explicitement destinées à des diplômés débutants (avec peu d’années d’expérience) : il arrive fréquemment que ces offres décrivent des missions pour lesquelles les connaissances correspondent à mon sens davantage à un profil expérimenté, pour un salaire de débutant. Les jeunes qui reçoivent ces offres ont du mal à se positionner car ils pensent ne pas avoir assez d’expérience, n’être pas assez compétents.  Il leur faut parfois déployer de l’audace pour oser candidater. Les diplômés plus expérimentés ne candidatent pas car le salaire leur paraît trop bas.
  • Le second point concerne les salariés qui s’investissent dans des formations pour obtenir un diplôme tout en restant dans leur entreprise. On se rend compte que le fait d’acquérir de nouvelles compétences ne conditionne pas automatiquement le passage à un niveau supérieur et un salaire en adéquation.

Il me semble important de valoriser les compétences pour attirer et soutenir l’implication des hommes et des femmes qui s’investissent dans l’entreprise. Leur permettre de se former pour préserver leurs compétences ou en acquérir de nouvelles permet à l’entreprise, par l’évolution des compétences, d’améliorer son capital innovation et sa création de valeurs. Il est donc important pour l’entreprise d’accompagner la montée en compétences de ses collaborateurs et de la valoriser.


Pensez-vous que c’est le manque de connaissances et de maîtrise du secteur qui crée cette incohérence ?

Pas forcément. Les besoins sont définis par le service concerné qui le transmet ensuite au service RH.

Aujourd’hui, le rapport offre/demande fait que les jeunes n’ont pas à rechercher longtemps un poste. Il leur est aisé de quitter une entreprise pour une autre. Les entreprises doivent donc faire un effort pour attirer les compétences, développer une politique de formation et permettre la reconnaissance par le passage à un niveau supérieur avec le salaire qui va avec. 


Quelles sont vos sources d’inspiration, d’information (salons, blogs, influenceurs, experts communicants, etc.) ?

Nous participons à des salons, « comme all4pack », « Global Industrie » à Paris ou le CFIA au parc des expositions à Rennes. Nous sommes également parfois invités chez des intégrateurs, pour des démonstrations sur des outils ou produits nouveaux. Les échanges avec les industriels sont toujours intéressants, riches. Toutes ces actions permettent de nous tenir à jour sur les nouveautés, d’anticiper les évolutions technologiques pour ensuite adapter nos formations.

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